Près de 3% de la population mondiale est à risque de développer un anévrisme intracrânien, la dilatation localisée d’un vaisseau sanguin. Une rupture de l’anévrisme entraîne une hémorragie extrêmement grave, mortelle dans un tiers des cas. Dans le cadre du consortium «International Stroke Genetics Consortium», une équipe menée par l’Université de Genève (UNIGE), les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et l’Université d’Utrecht étudie les déterminants génétiques des anévrismes afin de mieux comprendre les différentes formes de la maladie et évaluer le risque individuel. L’examen du génome de plus de 10’000 personnes souffrant d’anévrisme, comparé à celui de 300’000 volontaires, a permis d’identifier 17 anomalies génétiques impliquées, notamment, dans le fonctionnement de l’endothélium vasculaire, la paroi interne des vaisseaux sanguins. De plus, les scientifiques ont découvert un lien potentiel entre ces marqueurs génétiques et les médicaments antiépileptiques, ouvrant la voie à l’utilisation d’une catégorie de médicaments pour la gestion de la maladie. Ces résultats, à lire dans la revue Nature Genetics, mettent en lumière toute l’importance des bases de données génomiques et phénotypiques pour faire avancer la recherche médicale.
En Suisse, cinq personnes sur 100’000 sont confrontées chaque année à une rupture d’anévrisme intracrânien autant que le nombre de blessés dans des accidents de la route. Seule une prise en charge chirurgicale très rapide et hautement spécialisée peut espérer sauver. «Mieux comprendre les bases génétiques –familiales ou non– régissant le risque de développer la maladie, mais aussi permettant de distinguer les différentes formes de la maladie et sa sévérité est donc essentiel pour détecter les personnes à risque et leur proposer la prise en charge la plus adaptée», explique Philippe Bijlenga, professeur assistant au Département des neurosciences cliniques de la Faculté de médecine de l’UNIGE et médecin adjoint agrégé au Service de neurochirurgie des HUG, qui a dirigé le volet suisse de cette étude. Cette maladie aux multiples facettes, dont l’évolution dépend à la fois de facteurs génétiques, congénitaux et environnementaux, est complexe à appréhender. «Les infimes variations qui la composent doivent donc être décryptées», ajoute-t-il.
Une étude d’ampleur sans précédent
Les travaux menés à Genève et à Utrecht constituent la plus grande étude génétique au monde dans le domaine des anévrismes intra-crâniens. L’ADN de plus de 10 000 patients a été examiné et comparé à celui de 300 000 volontaires : onze nouvelles régions du génome –contre six auparavant– ont pu être associées à la maladie. «Les variations de l’ADN provoquent chacune une légère augmentation du risque d’anévrisme crânien», détaille Ynte Ruigrok, neurologue et professeure associée au centre médical universitaire de l’Université d’Utrecht, qui a co-dirigé ces travaux. «L’accumulation de ces variations peuvent, ensemble, constituer un risque important.»
La plupart de ces anomalies génétiques semblent liées au fonctionnement des cellules endothéliales qui tapissent l’intérieur des vaisseaux sanguins et en assurent habituellement la solidité. «On soupçonnait ces cellules d’être responsables des anévrismes depuis longtemps», indique Philippe Bijlenga. «Nous avons aujourd’hui des éléments probants qui nous poussent à travailler sur d’éventuels marqueurs d’instabilité qui pourraient indiquer si l’anévrisme est stable, s’il est guéri, ou s’il présente un risque élevé d’évolution néfaste.»
En outre, ces recherches montrent qu’une prédisposition génétique à l’hypertension artérielle et au tabagisme jouent un rôle important dans le développement d’un anévrisme intracrânien. Si ces facteurs de risque étaient déjà connus d’un point de vue clinique et épidémiologique, en voici maintenant la preuve génétique.
Les scientifiques ont aussi fait une découverte pour le moins surprenante : «Il semble en effet que les structures protéiques de certains des gènes en question aient un lien avec les médicaments antiépileptiques. Nous ne savons pas encore si cet effet est positif ou négatif, mais cela ouvre toute une réflexion sur la possibilité de traitements pharmacologiques, potentiellement moins invasifs que les approches chirurgicales que nous utilisons actuellement», souligne Philippe Bijlenga. Il s’agit maintenant de modéliser la maladie, tant d’un point de vue biologique que de sa prise en charge thérapeutique, pour offrir aux médecins un système d’aide à la décision médicale afin de déterminer des protocoles de suivi différents en fonction des données génétiques de chacun.
Avancées scientifiques et protection des données
Pour mener à bien ces études, les équipes de recherche doivent avoir accès à un très grand nombre de patient-es, et donc travailler en consortium international. «Pour cela, nous avons mis en place des outils de standardisation des données complexes. Il a fallu trouver un langage commun, unifier les critères d’évaluation clinique, les méthodes d’imagerie et leur traitement informatique et établir des structures d’échanges tout en ne faisant aucun compromis pour garantir la protection des données personnelles», rapporte Philippe Bijlenga, qui a supervisé ce travail sur les données.
Le consortium a mis en place une structure capable de collecter, harmoniser et sécuriser des masses énormes de données. L’Institut suisse de bioinformatique (SIB) assure la gestion des données phénotypiques, tandis que l’Université d’Utrecht conserve les données génomiques. Ces données, protégée par un processus d’approbation, sont accessibles aux équipes de recherche du monde entier. «En revanche, il faut démontrer le bon usage qui en sera fait. Notre système permet les avancées scientifiques, mais en préservant les données personnelles», concluent les auteurs.
Philippe Bijlenga
Professeur assistant
Département des neurosciences cliniques
Faculté de médecine UNIGE
Médecin adjoint agrégé
Service de neurochirurgie HUG
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DOI: 10.1038/s41588-020-00725-7
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