Les plus grands déserts médicaux du monde sont l’Afrique sub-saharienne et l’Asie du Sud : l’Organisation Mondiale de la Santé estime qu’il y manque 2 millions de professionnels de la santé pour pouvoir espérer voir se développer des systèmes de santé fonctionnels. Si l’on y regarde de plus près, les médecins se concentrent dans les capitales de ces pays, quitte à ne pas avoir assez de travail, cherchant plutôt à émigrer dans le Nord que d’aller s’installer dans les campagnes. C’est donc aux patients de prendre le chemin de la grande ville, quand ils le peuvent, sur des routes souvent longues et pénibles.
En 2000, des jeunes médecins maliens prêts à partir travailler en brousse nous ont lancé un défi : avec vos outils informatiques, soutenez les médecins qui vont s’établir en périphérie, afin qu’ils puissent rester en contact avec les médecins spécialistes et avec leur collègues, pour continuer à se former, pour demander des conseils lorsqu’un cas est difficile, pour décider si un patient doit vraiment être évacué vers la grande ville. Aidez-nous à déplacer de l’expertise plutôt que des patients ou des médecins.
C’est ainsi qu’a débuté le Réseau en Afrique Francophone pour la Télémédecine, le RAFT, pour faire court. Le nom évoque une embarcation un peu basique, mais qui permet de franchir un obstacle, d’atteindre l’autre rive. Et c’est bien la démarche choisie : utiliser des outils informatiques simples et résistants, adaptés aux conditions locales, pour faciliter la communication, la collaboration et l’apprentissage à distance, pour « dés-isoler » les professionnels de la santé et améliorer leurs conditions de travail et leur efficacité, et, par là-même, la qualité des soins aux patients.
Les deux activités principales du réseau RAFT
La téléconsultation
Un médecin isolé réalise un électrocardiogramme et demande l’avis d’un cardiologue expert situé à plusieurs centaines de kilomètres. La patiente n’aura pas besoin de faire le trajet pour obtenir le diagnostic.
La formation continue
Un cours de formation continue donné par un Professeur de Dakar, et suivi par des centaines de participants répartis dans plus de 20 sites à travers l’Afrique francophone. Chaque participant peut poser des questions et faire part de ses propres expériences. Une connexion à bas débit suffit pour suivre le cours, même depuis un cybercafé.
Aujourd’hui, ce sont plus d’un millier de professionnels qui participent au RAFT, dans une vingtaine de pays d’Afrique : on y suit des cours de formation continue, on demande de l’aide, à distance, pour interpréter une radiographie, une image d’échographie, un tracé d’électrocardiogramme, une photo de lésion cutanée, ou pour obtenir un conseil pour la prise en charge d’un cas difficile. Il s’agit du plus grand réseau de télémédecine en Afrique [Figure 1].
Les difficultés rencontrées durant les dix premières années d’existence de ce projet sont nombreuses et de différents ordres. D’abord, le financement. Le projet est soutenu, dès son début, par les Hôpitaux Universitaires de Genève, l’Etat de Genève et des fondations privées. Cependant, la pérennité des activités exige que les participants puissent assumer les frais de fonctionnement de ces outils, et notamment, les frais de connexion à l’Internet et de soutien technique. C’est d’ailleurs une manière de mesurer l’utilité d’un système : on vote souvent avec son porte-monnaie. Il faut également que ces activités soient en phase avec les stratégies de développement des autorités sanitaires locales. Un contact fréquent avec les décideurs est donc nécessaire, et c’est la mission des « points focaux » du RAFT, des personnalités médicales reconnues dans leur pays, qui portent le projet et veillent à son intégration dans les politiques nationales. Au Sénégal, par exemple, le ministère de la santé a décidé de faire du RAFT son outil officiel pour la formation médicale continue à distance.
Comme souvent, et notamment en médecine, l’établissement d’une relation de confiance est essentielle pour que l’échange soit efficace. Or, dans le cas de la télémédecine, la distance, l’imperfection des outils de communication, les défis d’organisation, mais aussi les décalages socio-culturels peuvent être responsables de malentendus ou de dysfonctionnements. Il est donc essentiel de soutenir ces échanges à distance par un réseau humain de professionnels bien formés qui se connaissent, se rencontrent et partagent leurs expériences et leurs savoirs. C’est alors que l’on peut utiliser ces différences et ces décalages comme autant de sources d’innovation et de créativité.
Initialement organisé dans une classique relation « Nord-Sud » où l’expertise venait du Nord, le réseau s’est rapidement « dépolarisé », avec l’émergence de relations « Sud-Sud » où des experts africains soutiennent leurs collègues isolés : 80% des téléconsultations sont réalisées en Afrique, et trois quarts des cours sont maintenant donnés depuis les hôpitaux et des universités africaines, gagnant ainsi en pertinence, et valorisant les compétences locales. Certains cours ont même une orientation « Sud-Nord », permettant à nos étudiants genevois en médecine tropicale de suivre des cours et de dialoguer avec des experts du terrain, par exemple un léprologue malien.
Si la pertinence de la télémédecine est démontrée, qu’en est-il de sa priorité pour les pays en développement ? Ne faudrait-il pas mieux investir dans la distribution de médicaments et de vaccins ? Pour parler en termes financiers : quel est le retour sur investissement de la télémédecine ?
Les réponses sont multiples, et à vrai dire, encore hésitantes. Les exemples convaincants ne manquent pas, mais ils restent anecdotiques, tel le cas du Dr Traoré [Figure 2].
Hôpital de Dimmbal, situé en brousse au Mali, à 800 kilomètres de la capitale
Le Dr Traoré bénéficie d’une connexion à l’internet par satellite et d’outils informatiques du RAFT alimentés par des panneaux solaires. Chaque semaine, il suit des cours de formation continue et sollicite l’avis d’experts pour la prise en charge de cas difficiles. Les experts sont au Mali, dans le reste de l’Afrique, à Genève ou à Paris. Récemment, le Dr Traoré et la sage-femme de l’hôpital ont été formés à l’utilisation d’un appareil d’échographie : ils sont en mesure de faire des diagnostics plus précis, et peuvent, au besoin, demander l’avis d’un radiologue qui se trouve à Bamako. En parallèle, le Dr Traoré a suivi une formation à distance en épidémiologie et santé publique à l’Université de Bordeaux, sans quitter son hôpital.
De plus, il peut utiliser cette connexion pour « skyper » avec ses collègues, ses amis, et, surtout, sa famille restée à la capitale, et qu’il ne voit que tous les six mois. En poste à Dimmbal depuis quatre ans, il a contribué au développement sanitaire de cette région reculée, en participant également aux activités communautaires d’assainissement et de formation des accoucheuses traditionnelles.
Les études effectuées dans les pays développés quantifient les bénéfices économiques de la télémédecine, mais celles-ci manquent encore en Afrique : les premières études d’envergure y ont commencé il y a moins d’une année et les résultats sont attendus pour 2012. Mais pendant ce temps, le continent africain se couvre d’antennes pour la téléphonie cellulaire, l’internet gagne les petites villes, les gouvernements travaillent à la mise en œuvre de stratégies nationales pour la cybersanté et la télémédecine. Les grands programmes humanitaires et d’aide au développement médical, qui se lamentent de la difficulté de coordonner leurs activités sur le terrain, investissent dans les technologies de l’information et de la communication. Face à la crise due au manque de professionnels de la santé formés et actifs sur le terrain, l’Organisation Mondiale de la Santé mise sur les outils de la télémédecine et de la formation à distance.
Ces outils, loin d’être la panacée, ont un rôle certain à jouer pour aider à consolider les systèmes de santé des pays en développement, même les plus démunis, car ils permettent, pour de nombreuses activités médicales, de s’affranchir des distances et des voies de communications terrestres souvent déficientes, favorisant la collaboration des professionnels de la santé, améliorant l’utilisation des ressources disponibles, ainsi que les conditions de travail et l’efficacité des professionnels de santé isolés, tant pour les activités de soins que pour les activités de développement sanitaire et de prévention.
Pour en savoir plus sur le projet RAFT