Les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) publient l’une des rares études populationnelles sur l’idéation suicidaire des adolescents et adolescentes depuis la pandémie de COVID-19. Basée sur les témoignages de 492 personnes de 14 à 17 ans, elle souligne que 14,4% des jeunes de Genève présentent des idées suicidaires, un taux élevé mais comparable à celui mesuré avant la pandémie. Une étude à découvrir dans Swiss medical weekly.
L’étude part de l’hypothèse que les changements de vie générés par la pandémie pourraient avoir amplifié les comportements suicidaires des jeunes. Elle a donc exploré la prévalence et les facteurs de risque associés à l'idéation suicidaire des adolescents et adolescentes à Genève, deux ans après le début de la crise sanitaire.
L’étude est basée sur la cohorte de jeunes de SEROCoV-KIDS, un suivi populationnel inédit, conçu pour évaluer l’impact de la pandémie de COVID-19 sur la santé et le développement des jeunes du canton de Genève. Elle rassemble 2 210 enfants et 590 adolescentes et adolescents. Ces derniers ont été interrogés entre décembre 2021 et juin 2022, sur leurs pensées suicidaires. Sur les 492 adolescentes et adolescents - âge moyen de 15,4 ans, 52% de filles - qui ont répondu aux questions sur l’idéation suicidaire, 14,4% ont rapporté des idées suicidaires dans les douze mois précédents.
Plusieurs facteurs de risque
Comme l’indique Roxane Dumont, doctorante en épidémiologie au Service de médecine de premier recours des HUG et première auteure de l’étude, « nous avons effectué une analyse multivariée très complète qui a permis de révéler plusieurs facteurs associés à l’idéation suicidaire, en particulier la détresse psychologique élevée (exprimée par 25% des jeunes), une faible estime de soi, l’identification à la communauté lesbienne, gay, bisexuelle (LGB), et le temps passé sur les écrans. Elle a également souligné l’effet protecteur des relations de qualité entre les jeunes et leurs parents. »
Un vecteur important d'idées suicidaires et de détresse psychologique est le niveau d'estime de soi, dans ses dimensions sociales, scolaires, familiales, émotionnelles et physiques. La faible estime de soi a été signalée par 8,3 % des 492 jeunes. La causalité peut, bien entendu, être bidirectionnelle : une faible estime de soi peut conduire à des humeurs dépressives qui, inversement, peuvent provoquer de l'auto-évaluation négative.
L'identification à la communauté LGBTQI+ est également fortement corrélée à l’idéation suicidaire. Ce résultat met en lumière les fortes disparités entre les communautés hétérosexuelles et LGBTQI+ en termes de détresse et de comportements suicidaires, même à un âge précoce. Celles-ci pourraient s'expliquer par des facteurs de stress tels que la discrimination, le rejet social, le faible soutien familial et le harcèlement. Ces éléments sont conformes aux études qui montrent que les minorités sexuelles présentent des risques plus élevés de dégradation de leur santé physique et psychologique.
L'excès de temps passé devant un écran, y compris pour les activités scolaires, a également été identifié comme un facteur de risque important pour les idées suicidaires. Passer beaucoup de temps sur les écrans est corrélé à la détérioration de la santé mentale et physique des adolescents et adolescentes et la situation s’est clairement péjorée depuis la pandémie de COVID 19.
Enfin, comme d’autres études l’ont démontré, l’addiction aux médias sociaux est reconnue comme un facteur de risque important de détresse psychologique. L'utilisation excessive des médias sociaux peut ainsi renforcer une mauvaise estime de soi, des comportements narcissiques et la solitude. Pour le Dr Rémy Barbe, médecin adjoint responsable de l’Unité d’hospitalisation du Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, « cela est souvent déclenché par la comparaison avec les autres, l'isolement, la diminution des interactions en face-à-face avec les pairs et l'exacerbation du sentiment de la "peur de manquer" qui se réfère à la perception que d'autres vivent une vie meilleure ou font de meilleures expériences. » En outre, l'utilisation intensive des médias sociaux peut conduire à une plus grande exposition à la cyberintimidation, au "trolling" (perturbation et dénigrement dans la e communauté) et à d'autres comportements abusifs en ligne et peut avoir des conséquences dramatiques sur la vie des adolescentes et adolescents.
A l’inverse, l’étude montre que le fait de se sentir entouré de proches, d'avoir une relation positive avec ses parents et de ne pas rencontrer de difficultés à l'école augmente l'estime de soi.
L’effet de la pandémie sur les idées suicidaires
Le COVID-19 a grandement impacté la vie des jeunes. Toutefois, son effet sur les comportements suicidaires reste peu clair. Bien qu’une augmentation des consultations psychologiques fasse l’objet de plusieurs recherches1 , le taux d’idéation suicidaire observé dans cette étude deux ans après le début de la pandémie est comparable à celui de la période prépandémique.
Le Pr Idris Guessous, médecin-chef de Service de médecine de premier recours, précise que « cette étude montre l’importance d’un suivi étroit et permanent de la santé des jeunes par le biais des études populationnelles genevoises. Les résultats soulignent combien il est essentiel d’encourager la prévention de la détresse psychologique, ainsi que la qualité du lien avec les parents. »
La cohorte SeroCov-KIDS (Prs Silvia Stringhini, Klara Posfay Barbe, Idris Guessous, Dr Rémy Barbe) est financée par la Fondation Jacobs, l'Office fédéral de la Santé publique, l’Office cantonal de la santé du canton de Genève et la Fondation privée des HUG.
Besoin de soutien ?
En Suisse, le suicide est la principale cause de mortalité chez les 15-24 ans. Tous les trois à quatre jours, un ou une jeune passe à l’acte dans notre pays.
• MALATAVIE Unité de crise : 022 372 42 42
• Site Internet de Malatavie Unité de crise
• Site Internet du Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent
• Fondation Children Action
DOI : 10.57187/s.3461
1. Deux exemples :
Service de presse et relations publiques
presse-hug@hug.ch
+41 22 372 37 37