Une équipe des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et de l’Université de Genève (UNIGE) a, pour la première fois, décrit une méthodologie précise de développement de sphéroïdes tumoraux de poumon. À l’aide de cellules issues de parties cancéreuses de poumon, les scientifiques ont reconstitué une version miniature des tumeurs de patients et patientes. Le fonctionnement de la tumeur et sa réponse à divers traitements anticancéreux ont ainsi été évalués en laboratoire. Rapide et efficace, ce processus sélectionne les molécules thérapeutiques les plus actives pour une tumeur donnée en seulement deux à trois semaines après obtention des fragments de tissus. La voie à des thérapies individualisées pour le cancer est ouverte. Des résultats prometteurs à lire dans la revue Cancers.
Le cancer du poumon est responsable de près de 20 % des décès annuels liés au cancer dans le monde. Selon les statistiques 2022 de la Ligue suisse contre le cancer, près de 5 000 nouveaux cas de cancer du poumon sont signalés dans notre pays chaque année. Dans les cinq années qui suivent le diagnostic, seule une personne sur cinq survit.
Besoin de traitements personnalisés
La chimiothérapie et les thérapies moléculaires ciblées sont les principaux traitements proposés aux patients et patientes. En raison de l’hétérogénéité des cancers pulmonaires, toutes les tumeurs ne sont pas sensibles à l’un ou l’autre de ces traitements. D’autre part, les cellules cancéreuses peuvent développer une résistance au traitement. C’est pourquoi l’utilisation de combinaison de plusieurs molécules est envisagée. Afin d’identifier le composé ou le mélange de composés le plus efficace pour chaque tumeur, il est nécessaire de pouvoir les tester, en laboratoire, sur des cultures ex vivo de tumeurs de patients ou patientes. Cette technique de culture est l’objet de cette étude.
Une technologie enfin décrite précisément
Afin de reproduire au plus près la tumeur en laboratoire, la culture des cellules cancéreuses en 3D, sous forme d’agrégats appelés sphéroïdes, connaît un regain d’intérêt depuis une dizaine d’années. Or, la culture de cellules de cancer de poumon en 3D est difficile à obtenir et était très peu documentée jusqu’ici. L’équipe de recherche des HUG et de l’UNIGE a établi et testé un modèle de sphéroïdes à partir de fragments tumoraux obtenus lors d’interventions chirurgicales. 21 personnes atteintes d’un carcinome pulmonaire « non à petites cellules » (« non-small-cell lung cancers » - voir ci-dessous) ont été incluses dans cette étude. Elles ont été prises en charge par le Dr Wolfram Karenovics, médecin adjoint au Service de chirurgie thoracique et endocrinienne, et par le Pr Alfredo Addeo, médecin-chef du Service d’oncologie et responsable du Centre du cancer du poumon des HUG et professeur ordinaire au Département de médecine de la Faculté de médecine de l’UNIGE, tous deux co-auteurs de l’étude.
« Grâce à un processus méticuleux d’expansion et de sélection, nous avons cultivé ces cellules en sphéroïdes tumoraux dans les incubateurs de notre laboratoire. En l’espace de quinze à vingt jours seulement, ces sphéroïdes, désormais robustes et entièrement caractérisés, ont été exposés aux traitements anticancéreux proposés par l’oncologue afin de déterminer ceux qui étaient efficaces », explique Véronique Serre-Beinier, auteure principale de l’étude, responsable du laboratoire de recherche fondamentale du Service de chirurgie thoracique et endocrinienne des HUG et chercheuse au Département de chirurgie de la Faculté de médecine de l’UNIGE.
Vers un traitement personnalisé du cancer du poumon
Il existe deux grands types de cancers du poumon. Le premier, le cancer « non à petites cellules », concerne quatre cancers du poumon sur cinq. Il regroupe des formes de tumeur différentes qui sont classées en fonction de leur morphologie et de leurs mutations. En 15 jours environ, toutes les mutations exprimées par les cellules tumorales sont identifiées pour ensuite évaluer les traitements adaptés. « Pendant ces deux semaines et grâce à notre nouvelle méthodologie, nous pouvons désormais développer des sphéroïdes de la tumeur de la patiente ou du patient et être ainsi prêts à tester les traitements sélectionnés par l’oncologue, c’est un atout considérable », indique la chercheuse. Quant au second, le cancer « à petites cellules », il est souvent détecté tard et concerne environ un cancer du poumon sur cinq. Il se propage rapidement et dévoile la plupart du temps la présence de métastases, avec malheureusement peu de possibilités de traitement. Il n’est donc pas concerné par cette étude.
Des applications contre la résistance et les effets secondaires
La littérature montre que 30 à 40 % des personnes sous thérapie ciblée vont développer une résistance au traitement. Les cultures de sphéroïdes décrites dans cette étude permettront d’identifier le traitement le plus efficace pour chaque personne, mais également le risque d’adaptation, et donc de résistance, des cellules cancéreuses aux traitements.
Les traitements anticancéreux, en particulier les chimiothérapies, engendrent de nombreux effets indésirables, notamment en « détruisant » des cellules saines de l’organisme. Là encore, les résultats de l’étude sont encourageants. « Nous avons également obtenu des sphéroïdes à partir du tissu pulmonaire sain des mêmes patients et patientes. Ces sphéroïdes « normaux » permettent de mesurer la toxicité des médicaments sur les cellules pulmonaires saines, évitant ainsi des effets secondaires dommageables pour la personne », se réjouit Véronique Serre-Beinier.
Les modèles de sphéroïdes pulmonaires représentent donc un espoir dans la quête de traitements personnalisés pour les personnes atteintes d’un cancer et une porte d’entrée pour le développement de thérapies anticancéreuses propres à chaque individu. « Pour en arriver là, nous devrons encore élargir le champ d'application des sphéroïdes tumoraux pour compléter les techniques développées à ce jour en oncologie de précision », conclut Véronique Serre-Beinier.
DOI : https://doi.org/10.3390/cancers15235576
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