La vie et la mort impriment sur les corps des marques subtiles. Sans médecins légistes, experts pour en déchiffrer le sens, la justice serait impuissante.
« Elle ne répondait ni aux SMS ni aux coups de fil. Rongé par l’inquiétude, son frère s’est rendu à son appartement. C’est ici qu’il l’a trouvée. Sans vie. Elle est décédée dans la matinée, je pense… » Il est 22h50. La Dre Christelle Lardi note sur un calepin les informations débitées par l’inspecteur de police. Elle est médecin-chef de clinique à l’unité de médecine et imagerie forensiques, rattachée au Centre universitaire romand de médecine légale (CURML). Déterminer l’heure et la cause du décès relève de sa compétence exclusive.
Sur place, personne n’a touché au corps. Les lieux sont intacts. C’est indispensable. Chaque indice peut livrer des informations précieuses. La médecin légiste examine la défunte. « La position, des lésions, des traces de violence donnent des indications sur la cause de la mort. La rigidité, les lividités et la température peuvent révéler son heure », explique-t-elle.
Bouteilles vides et médicaments habituellement prescrits dans les cas de sevrage jonchent le sol. Visiblement, la défunte souffrait d’une relation problématique à l’alcool. « Une mort naturelle semble peu probable. Peut-être une intoxication… », avance Christelle Lardi. L’inspecteur communique cette information au ministère public. Et, conformément à la procédure, ce dernier ordonne une autopsie afin de confirmer cette hypothèse.
Rendez-vous est pris le lendemain à 8h dans les locaux du CURML, à Genève.
Le Pr Patrice Mangin, directeur du centre, préside le briefing du matin. Affaires en cours, à venir et événements de la nuit sont passés en revue et discutés.
L’autopsie est prévue à 9 heures. Des images de séries télé défilent dans ma tête : dépouilles marmoréennes, sang noir, médecins légistes ultra blasés. Les clichés sont souvent vrais. Pas le dernier. Christelle Lardi, au contraire, est une passionnée.
Le cadavre repose sur un plan en inox. Epaulée par une collègue et un préparateur, la médecin légiste débute l’examen du corps. Dictaphone en main, elle décrit la rigidité, les lividités et la moindre ecchymose. Puis passe à l’examen interne. « Pour confirmer l’intoxication, nous devons exclure les autres causes possibles de
décès : infarctus, accident vasculaire cérébral, etc. », précise-t-elle.
Deux incisions, d’épaule à épaule et de la base du cou au pubis, dégagent le tronc. Puis le thorax est ouvert à l’aide du costotome, une pince servant à couper les côtes. Le préparateur décalotte la boîte crânienne. Cerveau, coeur, poumons, reins, foie, rate, estomac, intestin, etc. tout est soigneusement examiné
et pesé. Des échantillons de chaque organe, de sang, d’urine, de bile et du contenu de l’estomac sont prélevés pour analyse.
Le protocole est strict. Rien n’est laissé au hasard. Le tout dure environ trois heures. Mais il faudra plusieurs semaines avant d’obtenir les résultats des analyses et la preuve de l’intoxication. Toutefois, les premières données révèlent un taux d’alcoolémie de 4,5 pour mille. L’hypothèse se confirme. Le corps, refermé avec soin, sera rendu à la famille dans l’après-midi. Soit quelques heures à peine après son admission au CURML.
Les quelque 180 autopsies par an ne constituent qu’une des nombreuses tâches des médecins légistes. Ces derniers procèdent également aux constats d’agressions sexuelles ou de lésions traumatiques. En outre, ils sont sollicités pour estimer l’âge de personnes, réaliser des expertises en responsabilité médicale, interpréter des lésions sur photographie, participer à des reconstitutions de crimes ou témoigner en qualité d’experts devant les tribunaux. Et ils participent encore à l’identification des victimes en cas de catastrophe, en Suisse ou ailleurs.
« Ce travail peut nous mobiliser à toute heure. Il nous place face à la violence et aux événements aigus de la vie des gens. Il est indispensable à la justice et d’un grand soutien à la communauté. Et puis, il est passionnant. Quand la médecine se mêle à l’enquête policière, chaque mission est une nouvelle énigme », s’enthousiasme la Dre Lardi.