L’étude de suivi de la prévalence d’anticorps anti-SARS-CoV-2, menée à Genève à la suite de la première vague de pandémie, montre que le taux d’infection parmi les travailleur·ses des secteurs considérés comme « essentiels » n’a globalement pas été supérieur au taux de la population générale. Cependant, elle souligne également des différences importantes entre secteurs d’activité, avec notamment les professions de la santé, le personnel des EMS, de ménage et de cuisine plus touchés par le Covid-19 que la moyenne générale. Effectuée sur un très large échantillon couvrant un éventail complet de professions mobilisées durant le semi-confinement, cette étude est cruciale pour indiquer comment combattre la propagation de l’épidémie, et potentiellement pour orienter les campagnes de vaccination. Elle a été publiée dans Nature Communications le 8 juin 2021.
Les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), en partenariat avec l’EPFL, Hirslanden Clinique la Colline et Clinique des Grangettes, l’Hôpital de La Tour et la Chambre de commerce, d’industrie et des services de Genève (CCIG) ont testé 10'513 personnes pour la présence d’anticorps associés au Covid-19 entre le 18 mai et le 18 septembre 2020. Elles font toutes partie des secteurs dits « essentiels » dont l’activité s’est poursuivie de façon inchangée durant la première vague et présentaient donc un risque plus élevé d'entrer en contact avec la maladie. Elles se répartissent sur 32 professions et 16 secteurs d’activité tels que la santé, les transports, les EMS, l’alimentaire, etc. 1’026 tests ont révélé la présence d’anticorps au SARS-CoV-2, soit un taux d’infection de 9.8% seulement, légèrement supérieur à celui de l’ensemble de la population en âge de travailler (7.9%) à la même époque.
Pas plus à risque que les autres
À l'exception des secteurs de la santé, des foyers pour personnes âgées et du personnel de cuisine (notamment en foyers de retraite), les résultats suggèrent que les travailleurs des secteurs n’ayant pas été confinés durant la première vague de COVID-19 n’ont pas couru un plus grand risque de contracter le SARS-CoV-2 que la population globale en âge de travailler mais confinée.
Grande variation d’une profession à l’autre
Les données détaillées soulignent toutefois de fortes variations entre les différentes professions. Elles confirment que le personnel de santé a été particulièrement touché, avec un taux de 12.1% pour le personnel des foyers pour personnes âgées, de 11.1% pour les infirmier et infirmières et de 10.1% dans les pharmacies. Cette tendance confirme les observations de nombreuses autres études dans le monde, notamment espagnoles, suédoises et du Royaume-Uni. Elle s’explique notamment par des soins proches prolongés et en face à face, avec des patient et patientes potentiellement atteintes de la maladie.
Le personnel de ménage (12.1%) et de cuisine (10.1%), particulièrement celui des foyers pour personnes âgées, figure également parmi les secteurs plus fortement infectés. Cela tend à souligner la difficulté de respecter les mesures barrières dans ces secteurs d’activité.
A l’opposé, les secteurs des médias (4%), des organisations internationales (5.7%), de l’éducation de la petite enfance (5.8%) et de la construction (6%) sont plus épargnés.
Hétérogénéité au sein des métiers
L’étude fait également apparaître une très grande hétérogénéité au sein d’un même secteur et d’un même métier. A titre d’exemple, la séroprévalence au sein des EMS oscille entre 0 à 30% selon les établissements.
« La grande variabilité des taux d’infection au sein des secteurs révèle la différence de rigueur dans l’application des gestes barrières entre les entreprises et leurs employés, mais aussi confirme des caractéristiques connues de ce virus, qui se propage en clusters. Cette étude nous aide à déterminer les priorités vaccinales en fonction des métiers, en plus des catégories d’âge », déclare Pre Silvia Stringhini, épidémiologue responsable de l’unité d’épidémiologie populationnelle des HUG et première auteure de l’étude.
« Cette variabilité des taux d’infection au sein des EMS fait actuellement l’objet d’une étude qui tente de déterminer les stratégies qui se sont avérées les plus efficaces pour éviter les contamination en clusters », ajoute Pr Omar Kherad, médecin-chef du service de médecine interne de l’Hôpital de La Tour et co-auteur de l’étude.
Vacciner les soignant∙es et le personnel de cuisine en priorité
Ainsi, les résultats renforcent le bien-fondé de vacciner en priorité le personnel de santé des hôpitaux et foyers pour personnes âgées. Elle ouvre aussi des pistes sur la nécessité de considérer d’autres professions comme le personnel de cuisine.
L’étude n’a pas montré de corrélation entre le niveau d’éducation et le risque d’infection, hormis pour les personnes ayant obtenu un doctorat (grade universitaire le plus élevé).
« Cette étude par métiers nous permet de mieux comprendre la façon dont la pandémie se dissémine dans les différentes activités économiques qui ne peuvent pas se confiner. Elle attire notre attention sur l’importance de la prévention dans ces métiers et donne des indications précieuses sur la stratégie vaccinale à adopter », indique Pr Idris Guessous, médecin-chef du Service de médecine de premier recours des HUG et responsable de l’étude.
Etude sérologique
Les taux d’infection ont été obtenus à partir de prélèvements de sang, testés pour la présence d’anticorps IgG générés par l’infection aux SARS-CoV-2. Ces anticorps sont produits par le corps pour lutter contre l’infection et restent ensuite présents dans le sang pour protéger contre une réinfection.
« Cette cartographie de grande ampleur réalisée auprès du monde économique constitue un précieux indicateur pour les orientations à adopter quant à la vaccination ou au télétravail », conclut Vincent Subilia, directeur général de la Chambre de commerce, d’industrie et des services de Genève.
Article scientifique
Large variation of anti-SARS-CoV-2 antibodies prevalence among workers mobilized during the Swiss spring 2020 lockdown (SEROCoV-WORK+). Silvia Stringhini, María-Eugenia Zaballa, Nick Pullen, Carlos de Mestral, Javier Perez-Saez, Roxane Dumont, Attilio Picazio, Francesco Pennacchio, Yaron Dibner, Sabine Yerly, Helene Baysson, Nicolas Vuilleumier, Jean-François Balavoine, Delphine Bachmann, Didier Trono, Didier Pittet, François Chappuis, Omar Kherad, Laurent Kaiser, Andrew S Azman, Idris Guessous.
Financement
Le financement de cette étude a été octroyé par la Fondation privée des HUG et par la Fondation des Grangettes.
Hirslanden Clinique la Colline et Clinique des Grangettes / Hôpital de La Tour / CCIG
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