Philippe Pozzo di Borgo, dont l’histoire a inspiré le film Intouchables, parle de sa rencontre avec le philosophe Alexandre Jollien.
Au printemps 2012, Raphaëlle Aellig Régnier, documentariste indépendante, réalise deux films (Résister et De chair et d’âme) à partir d’une rencontre : celle du philosophe Alexandre Jollien et de Philippe Pozzo di Borgo, homme d’affaires devenu tétraplégique après un accident de parapente et auteur du livre Le deuxième souffle à l’origine du film Intouchables. Alexandre Jollien s’est rendu ainsi à Essaouira, au Maroc, où vit Philippe Pozzo di Borgo. Après une semaine d’échange particulièrement intense, les deux hommes ont gardé un lien étroit.
Qu’avez-vous ressenti après le départ d’Alexandre ?
Une immense fatigue. Car en sa présence, il est hors de question d’abandonner l’échange.
Qu’est-ce que la rencontre physique d’Alexandre vous a apporté de plus que la lecture de ses livres ?
Un regard intense, une gestuelle du corps qui emballent chaque expression comme un pianiste imprime son âme au bout du piano. Le mot déposé est chargé d’existence.
Qu’est-ce qui vous a le plus frappé dans les préoccupations d’Alexandre ?
Le goût de la simplicité. Un sens profond de la communication, jusqu’à ce que l’explication trouve un écho chez son interlocuteur. Une envie de convertir l’égaré sur l’essentiel, de le recentrer. Une impression de continuité et d’éternité dans la pensée humaine, un ancrage dans les Lumières.
Etes-vous toujours en contact ?
Nous échangeons via Internet plusieurs fois par semaine. Souvent pour trouver un mot d’encouragement, une assistance particulière. C’est une correspondance courte, directe et familière. Fraternelle.
A plusieurs moments, vous soulignez la différence d’âge entre Alexandre et vous. La transmission vous tient-elle à coeur ?
J’ai souvent avancé la différence d’âge pour expliquer la relative sérénité que j’éprouve comparée au besoin de reconnaissance exprimé par Alexandre. Par contre, à aucun moment je n’ai senti que je lui transmettais le témoin du relai. Le sprinter dans la course, c’est lui. Peut-être Alexandre transmet-il plus une réflexion, et que je m’accorde davantage à exprimer une certaine paix, une réconciliation.
Quelle fut votre réaction en découvrant le film de votre rencontre ?
Un grand silence, comme trois points de suspension qui attendent la suite. Une envie de revenir au début, d’arrêt sur le son, prendre sa respiration, faire quelques pas supplémentaires. Envie de reprendre une conversation promenée… pas mal pour un tétra et un IMC !
Quelle est votre priorité avec l’Association Simon de Cyrène ?
Trouver des fonds, obtenir une simplification de la réglementation qui bloque l’implantation en centre ville de nos foyers de vie pour grands traumatisés crâniens.
Comment interprétez-vous le succès d’Intouchables...
La consommation d’anxiolytiques, les dépressions, les accidents, sont des indices d’une société en surchauffe. Le succès d’Intouchables est le signe d’une adhésion au message simple de ce film : nous nous sentons tous handicapés dans
notre isolement. La fraternité entre les êtres, aussi différents et fragiles soient-ils, permet un mieux vivre et donne un sens à notre existence.
... et l’impact que des personnalités comme vous-même et Alexandre peuvent avoir ?
Le succès des livres d’Alexandre, qui connaissent des tirages de best-sellers, y compris son tout récent Petit traité sur l’abandon, est une illustration de cette recherche. Un nombre toujours plus grand d’individus perçoivent que le bonheur n’est pas dans la possession, mais dans la relation.